En l’espace de quelques années, la conjoncture économique et le nouveau paysage concurrentiel mondial ont profondément rebattu les cartes du jeu, en particulier pour les entreprises occidentales plus que jamais soumises à un triple impératif d’agilité, de frugalité et de performance financière. Souvent placée au cœur de leur démarche de transformation, la réorganisation du schéma industriel permet d’optimiser l’existant tout en dégageant de nouvelles marges de manœuvre financières et opérationnelles. Mais conduire un tel projet, sans les bons réflexes, peut vite tourner au cauchemar.   

 

M&A ou croissance organique, réorganisation de site, diversification, reconversion industrielle ou restructuration… Si les occasions de remettre à plat les process industriels sont nombreuses dans la vie d’une entreprise, elles sont pourtant souvent vécues comme une épreuve traumatisante pour le management comme pour les collaborateurs, tant elles affectent les routines opérationnelles du quotidien. Quel directeur de l’exploitation n’a jamais cauchemardé à l’idée de devoir lancer une nouvelle ligne de produits, ou au contraire de devoir rationaliser l’outil de production ? Quel PDG n’a jamais rêvé de pouvoir « réinitialiser » l’organisation toute entière pour l’aligner plus efficacement sur sa stratégie ?

A l’instar de Carlos Tavares, ils sont nombreux à chanter les louanges de la réorganisation opérationnelle. Le patron de PSA Peugeot Citroën, avec son premier plan « Back in the Race », était parvenu à améliorer considérablement la structure interne de coûts du constructeur – alors en quasi-faillite - en abaissant par exemple son point mort à 1,6 million de véhicules, contre 2,6 millions de véhicules deux ans auparavant. « L’environnement opérationnel compte pour un tiers environ dans le résultat opérationnel », admet ainsi le directeur financier du groupe, Jean-Baptiste de Chatillon.

 

Exécuter n’est pas jouer

Pour autant, pas question de prendre le risque de voir un plan de réorganisation prendre la tournure d’une victoire à la Pyrrhus : mal coordonnée, et souvent associée à tort au lean management réduit à sa plus simple expression - la chasse aux coûts -, la transformation opérationnelle de l’entreprise peut vite se transformer en piège à performance : baisse de la qualité ou de la réactivité, démotivation des troupes, effondrement de la créativité…

Improvisation et précipitation sont donc à proscrire. « Le manque de formalisme, de partage et de rigueur dans l’exécution sera souvent votre pire ennemi », estime par exemple l’ancien Président de la Société des ingénieurs Arts et Métiers, Roland Vardanega. « L’exécution, voilà bien le cœur du lean, qui doit être un moyen mais pas une fin. C’est aussi pour cela qu’il ne peut tenir lieu de stratégie, même s’il doit aider à la clarifier et à la faire partager », poursuit-il.

 

La contrainte des « 3C » : coût, changement et complexité

L’exécution stratégique du plan est donc la clé d’un projet de transformation réussi. Mais comme le martelait le général prussien Von Moltke, « le plan est toujours la première victime de la guerre ». Le plan de transformation opérationnel se heurte en effet à trois contraintes essentielles de mise en œuvre : complexité, coût et changement.

Coût, d’abord, parce que la transformation industrielle est trop souvent perçue à tort comme un levier d’économies à court terme, alors qu’elle incarne une dynamique de maturation organisationnelle qui se pilote dans le temps, et nécessite un investissement certain. Changement, ensuite, parce que les mécanismes de résistance au changement à l’œuvre constituent de redoutables freins à l’exécution du plan, à plus forte raison lorsque ce dernier vise à casser des routines opérationnelles contre-productives, ou du moins peu efficientes. Complexité enfin, parce que le temps de la manufacture d’épingles chère à Adam Smith est révolu : les processus industriels modernes sont aujourd’hui des maelströms d’interactions entre toutes les fonctions de l’entreprise.

En effet, pour Damien Andrieu, responsable marketing de l’éditeur de logiciels de PLM Lascom AEC, les sites industriels modernes « évoluent vers des systèmes interconnectés où de nombreuses fonctions électroniques, logicielles, mécaniques interagissent : capteurs pour optimiser la consommation énergétique, multiplications des opérations sur un même poste, vidéosurveillance pour détecter les défauts, chaine numérique complète… »

Un constat que ne renierait pas Flavien Kulawik, le président de KLB Group : pure player de l’implémentation, son entreprise a fait de la prise en charge des projets de transformation stratégique son cœur de métier. Flavien Kulawik, quitte à égratigner les gourous de la vieille école, n’hésite d’ailleurs pas à pointer « l’inefficience des réponses classiques de la gestion de projets » : il explique ainsi que « face au raccourcissement des horizons, la planification stratégique ne fonctionne plus. Un problème aggravé par la complexité des organisations matricielles et l’excès de procédures ». Rien d’étonnant, donc, à ce que la « méthode KLB Group » consiste à « substituer à la planification stratégique une décision basée sur des tests et des retours rapides du terrain ».

 

Rationaliser, ou l’art de lâcher du lest avant de s’écraser

Il est évident que de nombreuses entreprises industrielles cherchent aujourd’hui à réduire cette complexité, et la lourdeur bureaucratique qu’elle induit, en décomposant leurs cycles opérationnels pour identifier leurs processus clés et reconcentrer leurs moyens sur leurs compétence(s) distinctive(s).  En d’autres termes : elles externalisent certaines fonctions pour se recentrer sur l’essentiel.

Une situation que connaissent bien, notamment, les professionnels de l’industrie pharmaceutique pour être confrontés depuis plusieurs années à la concurrence des génériques et aux vagues de déremboursement successives. Ainsi, il n’est pas rare que les majors du secteur recourent aux services de CMO (Contract Manufacturing Organizations) pour outsourcer un certain nombre de processus non stratégiques (études, essais, production, etc.) et se recentrer sur la R&D ou la commercialisation, réduisant de la sorte leurs coûts d’infrastructure. La santé animale n’est pas en reste, puisque le spécialiste français des produits vétérinaires Virbac lui-même a créé une filiale, PM Resources Inc., offrant sur les marchés US et australien des solutions de « third-party contract manufacturing ». 

 

Transformer intelligemment pour survivre

En outre, la fin du modèle « blockbuster » pour les labos trouve son équivalent dans la plupart des secteurs exposés à la concurrence d’acteurs des pays émergents, dont les stratégies de rattrapage technologique portent leurs fruits depuis près d’une décennie. En réaction, on assiste aujourd’hui à la consolidation spectaculaire de plusieurs secteurs, à l’instar de l’optique (avec la méga-fusion entre Essilor et Luxoticca), ou encore de l’aéronautique (avec le rachat amical de Zodiac par Safran), pour prendre des exemples récents.

Les opérateurs historiques n’ont plus d’autre choix que de s’unir pour résister, mais pas d’alchimie possible sans transformation industrielle : « Zodiac est aujourd'hui un équipementier affaibli et ne présente plus comme en 2010 le visage une entreprise flamboyante et robuste. La perte de contrôle sur la production observée a montré le manque de préparation de la capacité industrielle de Zodiac à suivre les hausses de cadences imposées par les avionneurs », analyse La Tribune. Le quotidien économique estime ainsi que « Le déploiement l'an dernier de son plan Focus de retour à la performance opérationnelle a commencé à porter ses fruits. Pour autant, l'application de ce plan de transformation industrielle aurait dû être lancé bien plus tôt. »

En matière de pilotage de la transformation industrielle, l’agilité reste donc votre meilleure alliée : « Traditionnellement les entreprises et les conseils passent trop de temps à planifier en détail avant d’aller sur le terrain, déplore Flavien Kulawik. Les plans élaborés sont souvent irréalistes par méconnaissance de la complexité du terrain et des ressources mobilisables, et rapidement périmés parce que le contexte, les ressources, les difficultés et les opportunités évoluent rapidement. » Le patron de KLB Group préconise donc de s’affranchir des dogmes : « Appliquer les principes du management agile permet de maximiser l’efficience des cycles conception - réalisation - retours d’expérience. Et d’obtenir des résultats bien meilleurs, plus pérennes, et plus rapidement ! »