Développement durableLa notion d’ « entreprise durable » reste encore une notion floue. S’agit-il d’une entreprise verte ? Faut-il parler d’éco-entrepreneur ? Est-ce l’entreprise qui répond aux préoccupations du Développement Durable ? Est-elle celle qui respecte certains critères de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE)? Différentes perspectives peuvent être ainsi données à la constitution d’entreprises durables ou à une évolution vers une « entreprise durable ». Mais au-delà de ces diverses conceptions, ne faut-il pas simplement venir questionner l’objectif de rentabilité considéré comme indissociable de l’entreprise ? Ne serait-il pas nécessaire de repositionner l’objectif d’une entreprise sur celui de sa viabilité ?

 

Quand l’entreprise durable se définit par des préoccupations environnementales

Le caractère « durable » que l’on peut associer à l’entreprise, au management, au produit,… renvoie généralement à la notion de Développement Durable. C’est à compter du début des années 1970 qu’est publié un certain nombre d’études émanant d’institutions publiques comme privées portant sur les questions écologiques et environnementales. L’impact de l’activité humaine sur la biosphère interpelle d’autant que la décennie 1970 est émaillée de quelques catastrophes d’envergure – Seveso, Showa Maru, Amoco Cadiz, Three Mile Island, Ixtoc et Bhopal en 1984…[1]. Ces études amèneront à construire la notion de « développement durable » dont la définition la plus répandue est celle du rapport Bruntland (1987) [2].


Si les préoccupations en termes de Développement Durable commencent à émerger pour l’essentiel lors des années 1970, elles restent circonscrites à certains milieux mais ne s’imposent pas de manière élargie au sein des populations et des gouvernements. Cette prise de conscience intervient seulement au début de ce millénaire. L’annonce du pick oil, l’envolée des prix des matières premières au cours des années 2006 et 2007, les émeutes de la faim qui s’en sont suivies dans certains pays (puisque les prix des denrées agricoles ont été aussi concernés), les alertes réitérées de scientifiques sur le réchauffement climatique contribuent à une forte prise de conscience de la nécessité de protéger l’environnement.

Dans ce contexte, c’est avant tout le volet environnemental qui est pris en considération. On parle alors de croissance verte, de « révolution green », d’entreprise « verte ». L’objet est souvent alors de reconsidérer les modes de production, le cycle de vie du produit (au travers par exemple de l’éco-conception) pour limiter les incidences sur l’environnement des productions, produits, et consommations. À ces reconsidérations de processus pour des entreprises et des secteurs déjà existants, s’associe le développement d’un certain nombre de nouveaux secteurs et de nouvelles d’entreprises, de nouveaux départements spécialistes de nouvelles technologies « vertes » (ex : photovoltaïques), ou de nouveaux services d’audit et de conseils (ex : cabinet d’audit d’évaluation de l’efficacité énergétique des bâtiments).

Il existe ainsi une approche où le qualificatif qui semble le plus pertinent est celui de « vert » – mais là encore il n’y a pas institutionnalisation des pratiques –, et ce qualificatif de « vert » renvoie avant tout à la prise en considération de précautions quant aux incidences écologiques et environnementales des actes des entreprises. Les notions d’éco-entrepreneur ou d’éco-entreprise renvoient elles aussi à l’intégration et l’internalisation de cette dimension environnementale dans leur processus [3].

La RSE ou quand l’entreprise durable se définit par les dimensions environnementales et sociétales

À cette vision restrictive de cet enjeu du « Développement Durable », vient s’adjoindre une vision plus large qui est à proprement parler la définition du Développement Durable. La dimension environnementale n’est pas la seule dimension qui est mise en pendant de la dimension économique. Il est aussi nécessaire de considérer une troisième dimension : celle sociale ou certains préfèrent même le terme de sociétale.

Cette orientation interpelle les entreprises sur leurs relations avec leur environnement entendu au sens large (environnement écologique mais aussi environnement au sens de diversité des agents économiques, sociaux, politiques,..) avec lequel elles interagissent. L’entreprise est l’un des acteurs économiques qui se doit tout à la fois d’inter-agir avec les autres acteurs de la dimension économique (à laquelle elle appartient) tout en intégrant les autres dimensions – soit celles sociétales et environnementales. Cette vision, et la mise en œuvre de cette conception au niveau de l’entreprise se dénomme la « Responsabilité Sociale ou Sociétale de l’Entreprise » (RSE).

Les dimensions environnementales et sociétales sont intégrées dans la conduite de la stratégie des entreprises. La construction/constitution d’une entreprise et d’une stratégie de RSE nécessite une bonne perception et compréhension de l’environnement, le respect de l’équilibre des intérêts des diverses parties prenantes de cet environnement (c’est la fameuse approche des parties prenantes – Shareholders – qui s’oppose à une approche centrée sur l’actionnaire –stakeholders). Cette approche suppose une redéfinition des objectifs de l’entreprise (en considérant les autres dimensions), de ses frontières (en considérant les parties prenantes) et à certains égards la reconstruction d’un contrat social.


Cette notion de RSE s’est développée depuis les années 1980 pour connaître une mise en œuvre plus significative à compter des années 2000 (voir notamment les normes mises en place au niveau européen, et le volet RSE exigé dans les rapports annuels des sociétés côtées en bourse). Là encore, pour beaucoup d’observateurs, les pratiques mises en exergue ou en œuvre au titre de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise étaient souvent considérées comme de l’habillage et non témoignant de réels engagements de la part des entreprises.

Quand l’ « entreprise durable » nous interroge sur l’objectif de rentabilité

Aujourd’hui, la crise financière et économique de 2008-2009 semble instruire une nouvelle ère : le volet social n’est plus essentiellement vu comme un problème Nord-Sud. Il semble s’instaurer un questionnement fort : quel est véritablement le rôle de l’entreprise dans nos sociétés ? Que sont-elles sensées apporter aux individus, à la société civile ? Est-ce uniquement la production de biens ou de services pour satisfaire les besoins et les désirs des individus ?

Cette conception qui reste assez communément partagée repose sur la théorie économique dominante : l’entreprise est une unité de production qui doit maximiser le profit ou autrement dit sa rentabilité. Face à la nécessité de construction d’un Développement Durable pour nos sociétés, peut-on estimer qu’envisager l’entreprise avant tout sur ce principe d’optimisation de sa rentabilité peut être satisfaisant ? Cette conception peut-elle permettre de construire une entreprise à même de contribuer à l’émergence d’une société permettant le Développement Durable ? Dès lors, est-ce que parler d’entreprise durable ne nécessite pas tout d’abord de revenir sur l’objectif qui lui est associé ?


En effet, si la conduite de l’entreprise était orientée par une recherche de viabilité et moins par celle de rentabilité, il y aurait quasi de fait l’introduction d’un principe de modération (s’opposant à la maximisation de la rentabilité). Une modération entendue comme un comportement et non pas un objectif en soi, autorise la souplesse dans la recherche de rentabilité et de ces modalités permettant d’allier les objectifs des entreprises aux objectifs individuels et sociétaux.

Ce principe d’un comportement modéré induirait a minima deux incidences.

1. L’incidence sociale et sociétale peut elle-même être subdivisée en deux parties.
- Un objectif de viabilité de l’entreprise – et moins de rentabilité – peut limiter les exigences de gains de productivité et de compétitivité de l’entreprise, et de fait favoriser un climat d’activité de l’entreprise plus serein où les projets de vie des différents individus trouveraient un peu plus d’espaces d’expressions. La constitution dans l’entreprise d’un espace de stabilité et de relative liberté peut induire une réduction des oppositions d’intérêts classiquement observés dans les organisations. La dimension sociale ou sociétale du Développement Durable pourrait s’en trouver de fait renforcée. Ceci vaut en interne.
- La modération de l’objectif de rentabilité pour se rapprocher de celui de viabilité aurait également des incidences sur les relations de l’entreprise avec ses tiers que ce soit les fournisseurs, les concurrents, les acteurs politiques… La concurrence pourrait être moins vive. Elle alimenterait ainsi en retour cette possibilité de modération.


2. Un objectif de viabilité de l’entreprise soutiendrait aussi la dimension environnementale du Développement Durable. La nécessité de renouvellement des produits pourrait être révisée à la baisse limitant les nuisances environnementales de production et de consommation extensives.

Construire l’ « entreprise durable » au travers de ce principe de modération dans la rentabilité et associer ainsi un objectif de viabilité aux entreprises susciteraient certainement encore une meilleure intégration des dimensions du Développement Durable au niveau des entreprises. En effet, ces dimensions ne seraient pas l’expression de contraintes externes mais seraient respectées plus aisément car les objectifs mêmes des entreprises seraient revus à la baisse. Cette modération semble d’autant plus pertinente pour les PME que la taille des organisations et la place de l’actionnariat y jouent généralement un rôle moindre. Les PME pourraient être des acteurs propices à la mise en œuvre de telles orientations, s’affirmer comme des acteurs représentatifs de l’« entreprise durable », et se présenter comme l’un des moteurs du changement de notre société.


[1]Pour étendre le panorama jusqu’à ce jour, évoquons la toute récente catastrophe en Hongrie de déversement de boues toxiques  depuis des bassins de rétention d’une usine d’aluminium.

[2] «Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ».

[3] L’OCDE / EUROSTAT propose la définition suivante de l’éco-entreprise : entreprise dont les activités produisent des biens et services capables de mesurer, de prévenir, de limiter ou de corriger les impacts environnementaux tels que la pollution de l’eau, de l’air, du sol, ainsi que les problèmes liés aux déchets, au bruit et aux écosystèmes.

S. ANSART et V. MONVOISIN
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Enseignants-chercheur à Grenoble Ecole de Management

http://www.ecodupeu.com/