Philippe RODHAINLa marque est un signe qui doit permettre à une clientèle potentielle d’identifier l’origine commerciale des produits ou  services de son titulaire. Cette identification n’est efficace qu’à la double condition que soient mis en œuvre les moyens permettant de la diffuser et ceux permettant de la protéger. Trop nombreux sont ceux qui supposent que l’enregistrement de leur marque constitue une garantie suffisante  pour empêcher tout dépôt ultérieur d’une marque concurrente.

 

Ils semblent ignorer qu’en France, comme dans bon nombre d’autres pays d’ailleurs, l’Administration ne vérifie pas la disponibilité des signes déposés à titre de marque, avec pour conséquence que deux marques identiques ou très proches peuvent être enregistrées, sans que leurs titulaires respectifs n’en soient informés.

Fort heureusement, un système d’opposition est réservé aux titulaires de marques afin qu’ils puissent agir directement, à la source et à moindre coût, auprès de l’Administration pour s’opposer à l’enregistrement de tout nouveau dépôt susceptible de porter atteinte à leurs droits.

Simple et rapide, cette procédure est encadrée dans des délais très courts (2 à 3 mois à compter de la publication du dépôt litigieux), ce qui suppose que les déposants procèdent à une surveillance permanente de tout nouveau dépôt

La mise en place d’une surveillance systématique des marques déposées se révèle donc indispensable, pour ne pas dire incontournable.

  • De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de consulter régulièrement la publication des nouveaux dépôts de marques aux Bulletins Officiels afin de vérifier qu’aucun d’entre eux n’entre en conflit avec la marque de référence prioritaire.

Loin des veilles manuelles et empiriques, il existe aujourd’hui de nombreux systèmes de surveillance automatisés permettant un traitement hiérarchisé des avis de détection obtenus.

Ces outils informatisés offrent aux titulaires de marques la possibilité de réagir de manière prompte et adaptée aux atteintes éventuelles à leurs droits.

Il est recommandé de définir l’étendue de la surveillance en accord avec un praticien avisé notamment un Conseil en Propriété Industrielle ou un avocat spécialisé.

  • Quels en sont les mérites ?

Ces surveillances permettent de détecter, à la source, tout nouveau dépôt de marque concurrente et de veiller à ne pas laisser passer le délai d’opposition pour en contrer l’enregistrement, le cas échéant.

L’expérience du praticien permet de constater qu’il est plus aisé d’endiguer les effets d’un dépôt litigieux par une procédure d’opposition tant que le déposant n’a pas investi lourdement en communication sur la marque contestée.

En outre, il est fréquent qu’une réclamation, émise suffisamment tôt durant le délai d’opposition,  aboutisse à un règlement amiable avec le nouveau déposant, notamment par la conclusion d’un accord de coexistence ou par le retrait du dépôt litigieux.

Ces surveillances constituent, par ailleurs, un bon moyen d’observer l’environnement concurrentiel de la marque surveillée et d’anticiper ainsi les nouvelles tendances du marché.

  • Quels sont les risques liés à l’absence de surveillance de marque ?

Tout usage non autorisé d’une marque concurrente tend inévitablement à affaiblir l’exclusivité du droit privatif que confère l’enregistrement d’une marque prioritaire à son titulaire. Cet affaiblissement est non seulement économique, mais aussi juridique.

D’un point de vue économique, une marque ne vaut que par la protection qu’on lui accorde.

A défaut, le titulaire de la marque concurrente profite indûment des efforts commerciaux et de la renommée éventuelle de la marque prioritaire pour détourner la clientèle attachée au titulaire de cette marque, en entretenant habilement un risque de confusion dans l’esprit du public.

Ce préjudice commercial peut être aggravé pour le cas où les produits ou services concurrents sont de mauvaise qualité et ternissent ainsi l’image de la marque prioritaire.

D’un point de vue juridique, le temps joue en défaveur des titulaires de marques restés inactifs.

En premier lieu, ces titulaires risquent de perdre leur droit d’agir en contrefaçon ou en nullité à l’encontre des marques concurrentes, s’ils en ont toléré l’usage pendant une période de cinq ans : c’est le principe de la forclusion par tolérance.

Par ailleurs, l’emploi généralisé d’une marque expose le titulaire prioritaire à la déchéance de ses droits lorsque sa marque devient générique, c’est-à-dire qu’elle constitue la désignation usuelle du produit ou du service considéré : c’est le principe de la déchéance par dégénérescence.

Enfin, en l’absence d’opposition, le titulaire de la marque prioritaire ne pourra plus agir que devant les tribunaux, avec les coûts, lenteurs et aléas de procédure que l’on imagine.

Ainsi, la surveillance de marques permet de porter rapidement à la connaissance des titulaires de marques les informations nécessaires pour qu’ils puissent faire valoir leurs droits dans les délais légaux qui leur sont impartis.

Cette surveillance  doit être complétée par d’autres veilles, notamment celles exercées sur le registre du commerce et des sociétés (RCS) et sur Internet, tant parmi les noms de domaine qu’au sein même des sites web.

L’enregistrement constitue, en France, le seul mode d’acquisition de droits exclusifs sur une marque. Ces droits ne peuvent être sauvegardés que si leur titulaire adopte une attitude proactive de détection de toute atteinte afin de réagir avec diligence et efficacité.

 

Philippe Rodhain

Conseil en Propriété Industrielle

Chargé d’enseignement Université  Bordeaux IV

IP SPHERE

www.ipsphere.fr

 

Daniel Lasserre

Avocat à la Cour

Spécialiste en Droit Commercial

EXEME ACTION

www.bordeaux.gesica.org