Bernard GAURIAULa loi du 20 août 2008, qui redéfinit les critères de la représentativité syndicale, organise la suppression programmée de la présomption de représentativité qui bénéficiait jusqu’à présent aux cinq grandes confédérations syndicales : CGT, CFTC, CFDT, CGT-FO, CFE-CGC.
En attendant 2013, année fatidique où les dés seront relancés, ces confédérations conserveront toutefois leur position privilégiée  au niveau interprofessionnel et au niveau des branches.

 

En revanche, les nouveaux critères de représentativité ont été et seront mis en oeuvre dans les entreprises dès les premières élections professionnelles suivant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Parmi ces critères - le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, une ancienneté minimale de deux ans, l’audience,  l’influence,  les effectifs d’adhérents et les cotisations -  l’audience joue  un rôle capital.  Elle se mesure au vu du score électoral réalisé par les organisations syndicales au premier tour, voire du score réalisé par un candidat à ce même premier tour, même en l’absence de quorum.

Mais l’audience n’a pas pour seul intérêt de désigner les syndicats représentatifs, elle contribue à les distinguer des syndicats non représentatifs mais légalement constitués, qui doivent au minimum vérifier les autres critères que celui de l’audience et à qui la loi confère diverses prérogatives afin d’accéder un jour à la qualité de syndicats représentatifs  (Unsa etc…).
En effet, désormais, les syndicats représentatifs ou non, légalement constitués, peuvent former une section syndicale, dès lors qu’ils ont plusieurs adhérents dans l’entreprise  ou dans l’établissement.  Mais si les syndicats représentatifs peuvent toujours désigner un délégué syndical, les syndicats non représentatifs peuvent désigner un représentant de la section pour les représenter au sein de l’entreprise ou de l’établissement.

Ce représentant de la section bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l’exception remarquable du pouvoir de négocier des accords collectifs.  Salarié protégé, son mandat du représentant de la section syndicale prend fin, à l’issue des premières élections professionnelles suivant sa désignation, dès lors que le syndicat qui l’a désigné n’est pas reconnu représentatif dans l’entreprise.

L’audience contribue également à la validité des accords collectifs ou à celle de la désignation du délégué syndical voire du représentant syndical au CE, et  à un moindre degré, elle joue un rôle dans la mise en oeuvre de la capacité offerte aux CE de négocier exceptionnellement les accords collectifs.
On le voit, l’indifférence au respect du quorum rend le dépouillement du 1er tour systématique pour la mise en œuvre de règles assez diverses, même si elles procèdent toutes du jeu complexe de la représentation du personnel dans l’entreprise.
Reprenons ces différentes situations.

 

I/ L’audience, critère décisif de représentativité


Outre la vérification des autres critères –surtout celui de l’indépendance par rapport à l’employeur et le respect des valeurs républicaines  (non discrimination etc..)- le syndicat qui veut être reconnu représentatif au niveau de l’entreprise doit réaliser le chiffre minimum de 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections , chiffre qui ne concerne que les titulaires dans ces différentes institutions élues et ce  « quel que soit le nombre de votants ».
En cas de listes communes à ces élections, la répartition des suffrages valablement exprimés se fait sur la base indiquée par les organisations syndicales concernées lors du dépôt de la liste ou, à défaut, à part égale.

La référence au seul premier tour des élections exclut bien sûr du jeu les non-syndiqués alors que les chiffres nous enseignent que la répartition des suffrages exprimés sur le cycle 2004-2005 à l’occasion des élections aux comités d’entreprise placent les non-syndiqués en deuxième position avec 22,9 % .
Par ailleurs, les élections n’ont lieu que dans moins de la moitié des entreprises d’au moins 11 salariés, pour les délégués du personnel, et d’au moins 50 salariés, pour les membres du comité d’entreprise.

Le sort fait aux organisations syndicales qui obtiennent les résultats les plus faibles , -par exemple un syndicat catégoriel comme la CFE-CGC -  en attendant d’éventuels regroupements, est réglé par l’article 1-4 de la Position Commune, lequel stipule en effet que « pour une durée indéterminée, pour les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle, l'audience s'évalue sur la base des résultats enregistrés par ces organisations dans le ou les collèges dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats. »
Stipulation reprise par l’Art. L. 2122-2 C.trav. qui précise toutefois que la confédération syndicale catégorielle de référence se doit d’être  interprofessionnelle et nationale. Bien entendu, l’organisation syndicale catégorielle en question doit vérifier par ailleurs le même seuil minimal d’audience et les critères de représentativité déjà évoqués.

Quoiqu’il en soit, l’appréciation de la représentativité interviendra à chaque élection dans les entreprises.
Si la première mesure de l’audience au niveau des branches professionnelles et au niveau national et interprofessionnel sera réalisée au plus tard cinq ans après la publication de la présente loi,  au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, elle sera donc effectuée aux premières élections professionnelles pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d’accord préélectoral est postérieure au 21 août 2008.

En attendant , reste présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l’une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date du 21 août 2008, ainsi que tout syndicat représentatif à ce niveau à la date de cette publication.
Est également présumé représentatif dans les mêmes conditions tout syndicat constitué à partir du regroupement de plusieurs syndicats dont l’un au moins est affilié à une organisation syndicale de salariés représentative au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi


II/ L’audience, nouveau préalable à la désignation du délégué syndical


9- La nomination du délégué syndical est toujours subordonnée aux conditions traditionnelles d’effectif de cinquante salariés dans l’entreprise ou l’établissement ainsi qu’à la constitution d’une section syndicale.
Les nouveautés ne sont toutefois pas minces ; en effet, le délégué syndical est désigné « parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, quel que soit le nombre de votants. »
Cette disposition fait clairement dépendre la faculté de désigner un délégué syndical de la tenue d’élections professionnelles. Si  l’on voit bien l’objectif qui est de conférer une certaine dose de légitimité au salarié désigné, au vu des suffrages qui se sont portés sur le candidat qu’il était, on en pressent instantanément les limites : l’intéressé peut fort bien n’avoir pas été élu.  
Du reste, le législateur en est pleinement conscient puisqu’il envisage l’hypothèse selon laquelle il ne resterait dans l’entreprise ou l’établissement plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit lesdites conditions : à titre résiduel, le texte permet à l’organisation syndicale de désigner un délégué syndical :
- parmi les autres candidats »
ou, à défaut,
-parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou de l’établissement.
10- La faculté de désigner un délégué syndical supplémentaire dans les entreprises de 500 salariés et plus est maintenue si celui-ci a recueilli au moins 10 % des suffrages exprimées dans les conditions déjà évoquées .  Dans le même esprit, la faculté de désigner un délégué syndical central d’entreprise dans les entreprises de deux mille salariés et plus comportant au moins deux établissements de cinquante salariés chacun, est envisagée par le nouvel article L.2143-5 C. trav.  Toutefois, cette faculté n’est ouverte qu’au syndicat ayant « recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants » et ce  « en additionnant les suffrages de l’ensemble des établissements compris dans ces entreprises. »
L’article L.2143-6 , introduit au moment de la codification à droit constant, reprend les anciennes dispositions issues de l’article L.412-11 alinéa 4  relatives au délégué du personnel désigné en tant que délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, pendant la durée de son mandat d’élu.
A titre transitoire, les délégués syndicaux régulièrement désignés au 21 août 2008 conserveront leur mandat et leurs prérogatives jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles organisées dans l'entreprise ou l'établissement dont la date fixée pour la négociation du protocole préélectoral est postérieure au 21 août 2008.
Après les élections, ces délégués syndicaux conserveront leurs mandats et leurs prérogatives dès lors que l'ensemble des nouvelles conditions de leur désignation seront réunies.

III/ L’audience, nouveau pré-requis pour la désignation du représentant syndical au CE


Quant au représentant syndical au CE, sa nomination est soumise également à de nouvelles conditions. En effet, s’il suffisait d’être syndicat représentatif dans l’entreprise pour désigner un représentant au comité, le nouvel article L. 2324-2 du même code, a été modifié de telle sorte que désormais, l’organisation syndicale devra posséder des élus au CE.
Jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles organisées dans les entreprises ou les établissements pour lesquels la date fixée pour la négociation du protocole pré électoral est postérieure au 21 août 2008, chaque syndicat représentatif dans l'entreprise ou l'établissement à la date de cette publication peut désigner un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès de l'employeur, conformément aux règles antérieurement applicables.

IV / L’audience, condition d’appréciation de la validité des accords collectif


La validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement est désormais subordonnée à :
-sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants,
- et à l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants. (L’opposition est exprimée dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de cet accord.)

Notons que dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, l’employeur pourra, à compter du 1er janvier 2010, et sous certaines conditions, négocier avec les élus ou à défaut avec un salarié spécialement mandaté par une organisation syndicale représentative,  un accord collectif, et ce sans avoir besoin de l’autorisation d’un accord de branche, comme c’est actuellement le cas.
Dans l’hypothèse d’une négociation avec le CE , la validité de  l’accord d'entreprise sera subordonnée à sa conclusion par des membres titulaires élus au comité d'entreprise représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles et à l'approbation par la commission paritaire de branche. D’où la nécessité de connaître, une fois de plus, l’audience  réalisée aux élections professionnelles.

Conclusion

La démonstration est faite du caractère indispensable que revêt désormais le dépouillement des bulletins du premier tour, pour les titulaires, quand bien même l’urne serait peu fournie. Il en va de la mise en oeuvre d’un nombre finalement important de règles du droit syndical et du droit de la négociation collective. Nul doute, que ces nouvelles dispositions contribuent à appréhender d’une toute nouvelle façon les élections professionnelles et entraîne la mise en place de stratégies électorales - par exemple de listes communes - jusque là inimaginables de la part de certains syndicats.


Bernard GAURIAU
Bernard Gauriau
Agrégé des facultés de droit
Professeur à l’université d’Angers
Avocat associé - Cabinet IDAvocats
www.idavocats.com