Nathalie MALKES KOSTERL’obligation générale de bonne foi qui préside aux relations contractuelles (art. 1134 C. civ.) s’applique au contrat de société et impose à tout associé un devoir de loyauté envers la société dont il est membre.

Quelles en sont les conséquences ? Plus précisément, le devoir de loyauté entraine t-il ipso facto une obligation de non-concurrence interdisant à l’associé d’exercer une activité concurrente de celle de la société ?

La question ne se pose naturellement qu’en l’absence de stipulation expresse d’une clause de non-concurrence dans les statuts ou dans un pacte extra statutaire.

Exception faite de certains cas particuliers (1), la Cour de cassation fait une nette distinction entre la situation du simple associé (2) et celle de l’associé qui exerce des fonctions de direction (3).

 

1. L’associé peut, dans certains cas, être tenu d’une obligation de non-concurrence de plein droit

Tel est le cas de l’associé apporteur en industrie ou apporteur en nature d’un fonds de commerce ou d’une clientèle qui ne peut développer une activité concurrente de celle dont il a fait apport.

De même, celui qui cumule sa qualité d’associé avec celle de salarié se voit interdire, pendant la durée de son contrat de travail, d’exercer une activité concurrente de celle de la société qui l’emploie.

Enfin, une obligation légale de non-concurrence pèse sur les associés de sociétés d’exercice professionnel, comme les SCP ou les SEL, dans la mesure où ces derniers participent à l’activité de la société.

Qu’en est-il en dehors de ces situations particulières ?

 

2. Le devoir de loyauté de l’associé ne fait pas obstacle à l’exercice d’une activité concurrente

Bien qu’il n’existe aucun principe général de non-concurrence attaché à la qualité d’associé, d’aucuns considèrent que l’exercice par un associé d’une activité concurrente à celle de la société est contraire à l’affectio societatis et constitue un manquement au devoir de loyauté.

La Cour de cassation a ainsi jugé qu’en sa seule qualité d’associé, le porteur de parts d’une SARL « avait l’obligation de s’abstenir de tout acte de concurrence à l’égard de celle-ci » (Cass. com. 6 mai 1991, n° 89-13780).

Mais quelques années plus tard, cette même juridiction a pris une position inverse et considéré que la décision d’un associé d’entrer au service d’une société concurrente « ne constituait pas ipso facto un acte constitutif de concurrence déloyale » (Cass. com. 26 novembre 1996, n° 94-15403).
Plus récemment, elle a refusé de retenir la responsabilité d’une société sur le fondement de la concurrence déloyale du seul fait que son fondateur était resté associé d’une entreprise concurrente (Cass. com. 3 décembre 2002, n°99-21758).

Un arrêt du 15 novembre 2011 vient mettre fin à toute ambiguïté et pose en principe que « sauf stipulation contraire, l’associé d’une SARL n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyaux » (Cass. com 15 novembre 2011, n° 10-15049).

Le devoir de loyauté de l’associé d’une SARL ne fait donc pas obstacle à sa liberté d’entreprendre, sous réserve de s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale.

 

3. La situation de l’associé dirigeant social

Toute autre est la situation de l’associé qui exerce également des fonctions de direction.

Celui-ci est tenu d’une obligation de loyauté tant à l’égard des associés de la société qu’il dirige (Cass. com. 27 février 1996, n° 94-11241, arrêt Vilgrain), qu’à l’égard de la société elle-même (Cass. com. 24 février 1998, n° 96-12638), ce qui l’oblige, pendant toute la durée de son mandat, à agir dans l’intérêt social, et non dans son intérêt personnel.

Il a notamment été jugé qu’« avait manqué à son obligation de loyauté et de fidélité », le gérant démissionnaire qui avait entrepris de créer une société concurrente en cours de préavis (Cass. com. 12 février 2002, n° 00-11602).

Cette position est confirmée par l’arrêt précité du 15 novembre 2011 qui souligne que « l’obligation de loyauté et de fidélité pesant sur (X.) en raison de sa qualité de gérant de la société C., lui interdis(ait) de négocier, en qualité de gérant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité ».
La Cour de cassation intègre ainsi dans notre droit positif la notion anglo-saxonne de duty of loyalty.

Le principe énoncé pour un gérant de SARL devrait également pouvoir être extrapolé à tout dirigeant, voire même à tout associé qui disposerait d’un pouvoir de contrôle ou d’une influence déterminante sur la société.

Reste pour la jurisprudence à préciser les contours de « l’obligation de fidélité », introduite par l’arrêt du 12 février 2002, et qui vient compléter le devoir de loyauté.

Certains auteurs se demandent s’il faut y voir une obligation de non-concurrence qui s’imposerait au-delà de la cession des fonctions du dirigeant ? La question est ouverte.


Nathalie MALKES KOSTERNathalie Malkes Koster
Avocat au Barreau de Paris
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