Nathalie Malkes KosterVoici dix ans déjà que le législateur a introduit dans le Code de commerce l’article L. 442-6, I, 5° qui sanctionne la rupture brutale d’une relation commerciale établie, en l’absence de préavis écrit.

Le résultat a sans doute été au-delà de ses espérances tant cette disposition est fréquemment mise en œuvre par les tribunaux.

L’application de ce texte soulève des interrogations particulières en cas de recours à une procédure d’appel d’offres.

 

1.    Une « relation commerciale établie » peut-elle résulter d’un appel d’offres ?

La notion de « relation commerciale établie » s’entend de « relations d’affaires stables, suivies et anciennes, qu’elles que soient leur forme » (Lyon, 10 avril 2003, n°01-06057) qui « s’inscrivent dans la durée comme dans la continuité et (…) présentent une certaine intensité » (Versailles, 20 février 2003, n° 01-01170).

La jurisprudence traditionnelle considère que cette exigence de stabilité est incompatible avec la précarité qui caractérise le recours à la procédure d’appel d’offres (Versailles 24 mars 2005, JurisData n° 2005-270042).

La Cour d’appel de Versailles a ainsi jugé que « le recours à une mise en compétition avec des concurrents, avant toute commande, prive les relations commerciales de toute permanence garantie et les place dans une situation de précarité certaine » ; La collaboration entre les parties étant « remise en cause à chaque appel d’offres », la Cour a estimé qu’il n’existait pas entre elles de relation commerciale établie (Versailles, 18 septembre 2008, n° 07-07891, aff. Monoprix).

La décision rendue dans cette affaire peut paraître rigoureuse alors qu’avant son éviction, la victime de la rupture avait systématiquement soumissionné aux appels d’offres de Monoprix pendant 12 ans et avait été fréquemment retenue par le distributeur avec lequel elle réalisait les ¾ de son chiffre d’affaires.

Cette sévérité peut expliquer que la Cour de Versailles ait récemment nuancé sa position et décide désormais que « le recours à un appel d’offres ne suffit pas à exclure par principe l’existence d’une relation commerciale établie » (Versailles, 27 octobre 2011, n° 10-04733, aff. Toyota).

Reste à savoir jusqu’où ira cette extension constante de la notion de relation commerciale établie qui s’applique déjà à de simples pourparlers (Cass. com. 5 mai 2009, n° 08-11.916) ou à une succession de contrats ponctuels (Cass. com. 15 septembre 2009, n° 08-19.200).

Une prise de position de la Cour de cassation devrait permettre de clarifier la situation.

2.    Le recours à un appel d’offres marque la rupture d’une relation commerciale établie

En attendant, la jurisprudence considère toujours qu la décision de mettre en place une procédure d’appel marque la rupture de la relation commerciale antérieure et sa notification constitue le point de départ du délai de préavis.

La Cour de cassation a plusieurs fois réitéré le principe selon lequel « la notification par X… de son recours à la procédure d’appel d’offres pour choisir ses prestataires manifestait son intention de ne pas poursuivre leurs relations commerciales dans les conditions antérieures et faisait ainsi courir le délai de préavis » (Cass. com. 6 juin 2001, n° 99-20.831 ; Cass. com. 18 décembre 2007, n° 05-15.970 ; Cass. com. 2 novembre 2011, n° 10-26.656).

Encore faut-il que la volonté de rupture soit clairement manifestée.

Tel n’est pas le cas lorsque « l’appel d’offres rédigé en termes généraux sans allusion à la pérennité du contrat en cours ne (peut) s’interpréter comme une rupture de relations commerciales » (Amiens, 9 mai 2006, n° 05-01540 ; également Paris 24 mars 2011, n° 07-07337).

3.    L’exigence d’un préavis écrit d’une durée suffisante demeure en présence d’un appel d’offres

Enfin, la mise en place de l’appel d’offres doit être notifiée par écrit afin de faire courir le délai de préavis.

Les juges du fond considèrent que « si la notification d’un appel d’offres peut constituer la manifestation de ne pas poursuivre les relations antérieures (…), encore faut-il que l’annonce soit écrite et suffisamment explicite … » (Lyon, 3 juillet 2008, n° 06-05257) et ils sont sanctionnés par la Cour suprême s’ils se contentent de relever l’existence d’une mise en concurrence « sans avoir constaté le caractère écrit de l’appel d’offres » (Cass. com. 18 octobre 2011, n° 10-20.733).

Comme on le voit, rompre des relations d’affaires avec un partenaire commercial relève d’un parcours semé d’embuches.

On ne peut qu’inciter à la prudence, notamment dans les périodes de crise économique où l’adaptation aux retournements de conjoncture peut conduire les entreprises à réduire rapidement et de façon importante leur niveau d’activité avec leurs partenaires commerciaux habituels.


Nathalie Malkes KosterNathalie MALKES KOSTER

Avocat au Barreau de Paris
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