Jean-Baptiste RozesIl est impératif pour tout professionnel de connaître les usages du monde des affaires ainsi que ceux spécifiques à son secteur d’activité. A l’évidence, seule une connaissance précise de ces usages pourra lui permettre de les respecter ou, le cas échéant, de prévoir, une convention y dérogeant.

1.  Sur les usages en tant que référence

L’usage est une pratique dont l'emploi constant en fait une règle non écrite. Les lois et les règlements y font souvent expressément référence, et notamment, à titre d’exemples :

 

  • Article 1135 du Code civil :

« Les conventions obligent non seulement à ceux qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites utiles que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. »

  • Article 1159 du Code civil :

« Ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé. »

  • Article 1160 du Code civil :

« On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées. »

De même, pour un exemple plus concret, l’article L. 441-6 alinéa 9 du Code de commerce dispose que la communication par tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur de ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou à tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle «  s’effectue par tout moyen conforme aux usages de la profession. »

A défaut de référence aux usages dans les lois et règlements, les juges du fond les tolèrent en vertu du principe de l'autonomie de la volonté prévu à l’article 1134 du Code civil.

Il ne faut toutefois pas oublier que les règles invoquées comme usages doivent être générales, constantes et anciennes. Il a ainsi été jugé que des dérogations conventionnelles récentes et ne visant qu’un nombre limité d’applications ne pouvaient être qualifiées d’usages (CA Rennes, 27 février 1986).

2.  Sur la preuve des usages professionnels

Avant de se lancer dans une nouvelle activité, tout entrepreneur doit se renseigner auprès des professionnels en place sur les usages en vigueur.

Les organismes professionnels, et notamment les syndicats professionnels, ont, pour la plupart, une mission de renseignement à ce sujet.

Ces organismes professionnels peuvent délivrer des attestations, dites «parères », qui ont pour objet de reconnaitre l'existence des usages.

Un « parère » est, ainsi, un document servant de preuve à l'existence et au contenu d'un usage local ou professionnel, une sorte de certificat de coutume ou encore d'acte de notoriété (CA de Pau, 20 mai 2008, n°RG : 06/01613).

La preuve des usages incombe à ceux qui les invoquent et se fait par tous moyens.

Tout un chacun pourra valablement faire référence à tout parère ou tout autre élément de preuve et en communiquer copie au juge du fond pour démontrer l’existence des usages des professionnels.

Toutefois, l'information contenue dans un parère n'aura qu'une valeur indicative.

En effet, le juge du fond apprécie et interprète souverainement les usages (Cass. com., 14 avril 1975, 74-10009).

Le juge peut même faire état de la connaissance personnelle qu'il a de l'existence ou de l'inexistence de l’usage invoqué devant lui.

Aucun enregistrement des parères n’est obligatoire.

Toutefois, il est possible de déposer ces règles et usages au rang des minutes du greffe (au Service de l’audience) du Tribunal de Commerce de Paris.

Environ deux cents professions ont procédé à l’enregistrement des usages propres à leur branche.

3.  Sur la valeur juridique des usages

Pour avoir force juridique, les usages doivent être acceptés expressément ou tacitement par les parties.

L'acceptation implicite peut résulter notamment de l'appartenance des parties à la profession concernée par les usages.

Lorsqu'aucune des parties ne l'a invoqué, un usage ne peut pas être appliqué par les juges sans que ces derniers ne soumettent ce moyen à la discussion des parties et constatent que celles-ci l'ont expressément adopté (Cass. com., 17 mai 1988, 86-17708).

Les professionnels d'une activité déterminée, qui veulent échapper aux usages y afférents, doivent prévoir expressément leur exclusion. Ainsi, dans un arrêt du 20 décembre 1982, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a explicitement décidé que : « (…). Les usages invoqués ne peuvent prévaloir contre la convention des parties (…), claire et précise (…) » (Cass. com., 20 décembre 1982, inédit).

En l’espèce, alors que la Société GONRAND FRERES avait l’obligation, aux termes de son contrat de mandat avec la Société LEBOLE, de ne permettre la livraison de la marchandise à la Société COFREC que sur la présentation par celle-ci d’une attestation bancaire de paiement, elle avait autorisé cette livraison sur la remise d’une seule attestation bancaire de blocage du compte de la Société COFREC à concurrence du prix de la marchandise transportée.

La Cour d’Appel avait jugé que la Société GONRAND FRERES avait agi à bon droit car elle s’était conformée aux usages en matière de contrat de transport international.

Or, dans son arrêt du 20 décembre 1982, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la Cour d’Appel en jugeant que le contrat de mandat avait imposé une présentation d’une attestation bancaire de paiement dérogeant ainsi expressément aux usages en la matière.

Par ailleurs, les usages ne peuvent à l’évidence déroger aux règles impératives. Ils ne peuvent pas être contraires à l'ordre public, car la volonté des parties) ne saurait fixer le contenu du licite et de l'illicite.

Ainsi, l'usage peut écarter une règle de droit supplétive, ayant la valeur et la portée d'une convention tacite, mais il ne peut déroger aux règles posées de façon impérative par la loi. Il ne peut non plus faire obstacle à l'application des normes pénales.

A titre d’exemple, il a été jugé que l’usage ancien d'une marque est impuissant à faire disparaître le vice, qui est d'ordre public, de déceptivité qui affecte cette marque (CA Paris 7 juillet 1982).

De même, toujours à titre d’exemple, il a été jugé que ne pouvait être invoqué un parère de l'Association française des banques pour justifier le pouvoir du secrétaire général d'une société de caution mutuelle à engager celle-ci par l'aval d'un billet à ordre, alors que l'article 3 de la loi du 13 mars 1917 relative aux sociétés de caution mutuelle prévoit que le pouvoir d'avaliser un billet à ordre souscrit par un emprunteur relève du pouvoir du conseil d'administration qui n'avait pas habilité le secrétaire à cet effet (CA Paris, 15e ch. B, 12 novembre 1992, Sté de caution mutuelle des éditeurs français de livres c/ Banque populaire de Lyon).

En conclusion, il est conseillé à tout professionnel de bien connaître les usages du monde des affaires ainsi que les usages spécifiques de sa profession. Une première démarche est assurément de se renseigner auprès des professionnels et des organismes du secteur. De même, un avocat saura prendre en compte les usages notamment lors de la rédaction de ses Conditions Générales de vente. Il est également possible à tout un chacun de se rendre au service de l’audience du greffe du tribunal de commerce de Paris où sont enregistrées environ deux cents attestations d’usages de professions spécifiques.

 

 

Jean-Baptiste Rozes

Jean-Baptiste ROZES

Avocat

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