Philippe CLEACHRelayant les députés de son groupe, la nouvelle majorité sénatoriale a adopté vendredi 18 novembre dernier une disposition limitant la déductibilité des intérêts d'emprunt dans les LBO et une limitation générale des intérêts d’emprunt.

Présenté par des membres des groupes Socialiste et EELV du Sénat, l’amendement n°I-121, dans sa rédaction initiale, prévoyait que les « charges d’intérêts liées à l’émission d’emprunts par une société sont admises, en déduction pour le calcul du bénéfice net, à condition que le rapport entre les capitaux propres et la dette financière ne soit pas inférieur à 66 % ».

 

Probablement marqués par la crise des "subprimes" puis celle de la dette souveraine, les initiateurs de cet amendement ont largement pointé les opérations de LBO et leur présentation dépeint les acteurs du LBo  sous des jours peu favorables :

-    « Cet amendement vise à limiter l’effet de levier des emprunts dans le cas des rachats d’entreprise ou, pour le dire un peu brutalement, les dégâts des prédateurs sur les entreprises qu’ils rachètent. »
-    « ….quand, comme aujourd'hui, la conjoncture se retourne, deux cas de figure sont possibles : soit l’entreprise, surendettée, croule ; soit les acquéreurs extérieurs– je rappelle en effet que le LBO se définit comme un rachat par l’extérieur avec effet de levier – vendent une partie du patrimoine par appartement et démolissent l’entreprise, bref ils se paient sur la bête. »
-    « Nous voulons mettre fin à ces spéculations qui n’apportent rien à l’économie ni aux entreprises…. »

Le spectre de Lehman Brothers n’est pas très éloigné …. !

A l’issue du débat, les initiateurs de cet amendement ont consenti, sur demande de la présidente de la Commission des Finances, à abaisser le seuil de 66% à 50%. Les intérêts de la dette LBO ne seraient donc plus déductibles lorsque le ratio dette/fonds propres excédera 1.

La définition précise des fonds propres prendra là aussi toute son importance. En effet nombre d’acteurs LBO interviennent à deux niveaux dans les opérations: en capital directement (la qualification de fonds propres ici ne fait aucun doute) mais aussi en obligations ou tout autre véhicule, généralement subordonné au remboursement de la dette bancaire. Ces obligations, qui sont des quasi-fonds propres ne sont pas considérés comme des fonds propres et viendront grossir les rangs de la dette dans cette nouvelle disposition.

Les dangers dans ce cas ne semblent pas du tout les mêmes.

En premier lieu, faut-il rappeler que les investisseurs en LBO engagent les fonds de leurs actionnaires. Par ailleurs, les banques, américaines surtout, promptes à titriser certaines lignes et peut-être à les distribuer du coup sans discernement, n'ont pas le même comportement dans les financements LBO. Les acteurs du marché corrigent assez vite les erreurs et les exigences de ratio fonds propres / dettes sont régulièrement ajustées. Elles sont en outre fonction des capacités des entreprises. La dette LBO n’est pas titrisée sur des marchés secondaires. En clair, il n'apparait pas que les banques aient vendu de la dette LBO titrisée à milliards, faisant courir un nouveau risque de bulle spéculative.

Ensuite, les cas extrêmes qui peuvent être rencontrés ici ou là, qui semblent avoir inspiré Monsieur le Rapporteur, et qui sont éminemment condamnables, ne sont pas représentatifs d’un métier en son Le entier. L’AFIC a mené en France des études, disponibles sur son site, afin de suivre les LBO en difficultés et il apparaît que les entreprises sous LBO en France ont plutôt une bonne tenue pendant la crise.

Enfin, le niveau de dette supportable est très variable d’une entreprise à une autre et fixer un seuil général parait une gageure.

La France est toujours critiquée pour la faiblesse de son tissu de PME et de leurs fonds propres.. Bien des incitations ont été mises en place au fil des années pour y remédier. Rien n’y fait. Elles sont toujours sous-capitalisées. Les acteurs du Private Equity viennent renforcer ce domaine et canaliser l’injection de fonds propres (et quasi fonds-propres) dans le tissu industriel français.

Dans les prochaines années la France va connaître un pic de transmission d'entreprises lié à la structure démographique du pays. Cette période va entraîner des besoins d'investissements très importants, qui ne sont pas à la portée de nos entreprises ni des jeunes entrepreneurs. C’est donc encore un fort afflux de fonds propres à investir qui devra être trouvé pour permettre à la France de passer cette étape sans perdre davantage d’emplois industriels. Il s’agit d’un défi supplémentaire majeur pour notre pays.

Est-ce bien le moment de créer une contrainte règlementaire de plus, dont la prophylaxie est peu évidente et les impacts sur l’économie réelle probablement peu ou pas mesurés ?

Cette nouvelle disposition sera en outre renforcée par un autre amendement adopté le même jour, l’amendement n°I-10, lequel plafonne la déductibilité des intérêts  supérieurs à 3 millions d’euros à « 80 % du résultat courant avant impôts préalablement majoré desdits intérêts, des amortissements et de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l’issue du contrat » pour les exercices ouverts après le 1/01/2011 (SOIT RETROACTIVEMENT DES CETTE ANNEE) , 60% à compter du 1er Janvier 2012 et 30% à compter du 1er Janvier 2013.

Le budget 2012 sera voté par l'Assemblée qui, certainement, supprimera cet amendement I-121 (et peut-être aussi l’amendement I-10) auquel le gouvernement et sa majorité ne sont pas favorables (cf le débat au Sénat sur cet amendement).

Il reste à voir si ces dispositions feront partie du programme présidentiel de François Hollande et seront susceptibles d’être reprises s’il est victorieux.

 


Philippe CLEACHPhilippe CLEACH

Avocat associé

IDAvocats

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