Philippe RODHAINContrairement à la légende narrée dans l’Iliade, l’usage d’une marque ne doit pas, sous peine de nullité, dissimuler aux consommateurs les véritables qualités des produits dont elle garantit l’origine commerciale.

En France, la prohibition de la tromperie sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit marqué se retrouve édictée tant dans le Code de la consommation (art. L.115-6 et L.213-1 et suivants) que dans le Code de la propriété intellectuelle (art. L.711-3 et L.714-6).

En matière de vins, la propriété domaniale est intimement liée à la marque viticole identifiant le vin issu de cette exploitation. En effet, toute référence à la propriété domaniale, par l’incorporation au sein de la marque viticole (déposée ou non), de vocables réglementés, tels que clos, château, domaine, moulin, tour..., impose à l’exploitant de garantir les conditions de production du vin, sous peine de qualification de tromperie. C’est la règle dite de « l’autonomie culturale ».

Un jugement exemplaire en la matière précise que les propriétés pouvant revendiquer une autonomie culturale sont celles qui « comportent non seulement des pièces de vignes, mais également en proximité des bâtiments d’exploitation, cuvier, chais permettant, en se conformant aux traditions locales, de traiter d’une façon distincte la vendange à conserver et de soigner le vin issu de ces parcelles » (TGI Bordeaux, 1er juillet 1974, D. 1975 p 579).

Bien que la vinification séparée n’exige pas des bâtiments distincts, elle requiert néanmoins que soient mises en œuvre des procédures fiables de séparation (Cass.com, 30 mai 2007, n°06/14783 : Bull. civ. 2007, IV, n°146).

Le non-respect de ces conditions est constitutif du grief de tromperie sur l’origine des vins consistant à faire croire à l’existence d’une exploitation viticole fictive, voire également de celui de publicité trompeuse (Cass.com, 2 oct.2007, n°06-85.321).

C’est dire si la tromperie est une notion qui irrigue le droit des marques viticoles et se révèle être, bien souvent, le talon d’Achille d’une stratégie judiciaire.

L’arrêt du 3 janvier 2011 rendu par la Cour d’appel de Bordeaux en est une illustration frappante.

Après avoir écarté le grief de contrefaçon en raison de la forclusion par tolérance (aisément acquise en matière de rivalités viticoles), c’est en revanche sur le délit de tromperie que la marque incriminée achoppa et fut annulée.

D’une part, le titulaire fut dans l’incapacité de justifier du caractère autonome des vignes cadastrées du prestigieux nom, lesquelles étaient, aux yeux des juges, intégrées dans la superficie globale de l’exploitation viticole autrement dénommée. D’autre part, les preuves d’une vinification et d’une exploitation séparées n’étaient pas non plus suffisamment rapportées.

De cette apparence faussement domaniale, les juges d’appel en déduisirent également une intention malicieuse du titulaire de la marque de se placer dans la sphère de notoriété de l’un des fleurons des grands crus classés de Saint-Emilion.

Au-delà des considérations d’espèce, il apparait donc indispensable pour tout exploitant, qui commercialise plusieurs vins sous différentes marques viticoles, de s’assurer de la parfaite conformité à la réglementation en vigueur.

Cour d’appel de Bordeaux, 1ère ch. civ, sect. A, 3 janv. 2011, n°09/02994


Philippe RODHAINPhilippe Rodhain

Conseil en propriété industrielle
Chargé d’enseignement Bordeaux IV
Master II Droit de la Vigne et du Vin
Master II Intelligence Economique
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