Jean-Baptiste Rozes

Le Code de commerce impose, à la charge de celui qui souhaite mettre fin à une relation commerciale établie, une obligation de loyauté dans la rupture avec son partenaire économique.

L’article L. 442-6-I-5° du Code de commerce dispose ainsi :

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(…).

 

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (…). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (…). »

Une relation commerciale établie

La notion de "relation commerciale établie" recouvre tous les types de relations commerciales entretenues entre deux professionnels, ce qui exclut donc les relations avec les consommateurs. Les juges retiennent ou non le caractère « établi » d’une relation commerciale en fonction de la durée de cette relation, de sa régularité, ou du volume du chiffre d'affaires atteint.

A titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé que la continuité des relations d'affaires précédemment entretenues a pu raisonnablement autoriser la victime de la rupture à considérer que ces relations allaient se poursuivre avec la même stabilité dans le futur (Cass. com., 16/12/2008, n° 07-15.589).

Plus encore, il a été jugé qu’une relation fondée sur une succession de contrats ponctuels est suffisante pour caractériser une relation commerciale établie à condition que celle-ci présente un caractère régulier, significatif et stable (Cass. com., 18/05/2010, n° 08-21.681).

Une rupture totale ou partielle

La rupture totale se traduit par la cessation pure et simple des commandes ou des livraisons.

Quant à la rupture partielle, la jurisprudence a jugé qu'une diminution substantielle effective des commandes, et, par conséquent, du chiffre d'affaires, constitue une rupture partielle brutale, sous réserve d'être substantielle. De même, elle assimile la rupture ne portant que sur la fourniture de certains produits à une rupture partielle brutale, sous réserve également que ces produits représentent une part substantielle du chiffre d’affaires. Enfin, le non-respect d'un engagement de chiffre d'affaires ou des changements de politique commerciale peuvent constituer une rupture partielle.

La brutalité de la rupture

En application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, la rupture d'une relation commerciale établie est brutale lorsqu’elle intervient « sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. »

Ainsi, le préavis doit être émis dans un délai raisonnable tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale, de la nature des produits ou services concernés, de leur notoriété ou encore de l'importance représentée par le partenaire économique, auteur de la rupture, dans le chiffre d'affaires de l'autre partenaire.

L'absence de motivation de la rupture est indifférente dans l'appréciation du caractère brutal ou non de la rupture, sauf en cas de faute ou d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations, comme indiqué ci-dessous.

Cas de ruptures non brutales sans préavis

Le cocontractant dispose d'une faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.

La gravité du comportement d'un cocontractant peut ainsi justifier que l'autre mette fin au contrat de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée déterminée ou non ; les juges doivent constater que le comportement dénoncé revêt une gravité suffisante.

Il est toutefois fortement recommandé au plaignant de mettre son cocontractant en demeure de cesser son comportement, en motivant de façon circonstanciée sa demande et en lui accordant le délai utile pour corriger son comportement.

Ont été ainsi retenus comme justifiant la résiliation unilatérale du contrat :

- l'apparition, en cours d'exécution du contrat, d'un risque sérieux de conflits d'intérêts, le dirigeant de la société chargée d'améliorer les performances de production d'une entreprise étant devenu, tout en gardant ses fonctions, salarié d'un groupe concurrent de l'entreprise (Cass. com., 30/10/2007, n° 06-20944) ;

- les manquements répétés d'une entreprise de nettoyage qui portait ainsi atteinte à l'image de la société cocontractante à l'égard de ses clients et de ses stagiaires (CA Versailles, 06/11/2008, n° 07-5360).

En revanche, la résiliation a été jugée injustifiée lorsque l'auteur de la résiliation a invoqué comme motif un manquement du cocontractant d'une gravité insuffisante (Cass. com., 19/06/2007, n° 06-13.868).

Par ailleurs, un comportement de mauvaise foi peut également justifier que l'autre mette fin au contrat de façon unilatérale à ses risques et périls.

De même, un contrat nul pour violation d'une règle d'ordre public peut être résilié par une partie sans que cette résiliation soit fautive (Cass. civ.1, 24-09-2009, n° 08-14.524).

Enfin, le cocontractant dispose d'une faculté de résiliation sans préavis également en cas de force majeure, laquelle n'est constituée qu'en présence d'un évènement imprévisible, extérieur et irrésistible.

Les sanctions de la rupture brutale

L'auteur de la rupture qui manque à son obligation de loyauté commet donc une faute engageant sa responsabilité et l'obligeant à réparer le préjudice subi.

Si la résiliation entraîne un trouble manifestement illicite pour la partie qui la subit, celle-ci peut demander en référé, ou par une assignation au fond à bref délai, la cessation de ce trouble.

Le partenaire lésé peut demander la reprise des commandes ou livraisons.

Si la résiliation unilatérale a été décidée à tort, la partie qui en a pris l'initiative peut être condamnée à verser des dommages-intérêts et une indemnité complémentaire de préavis.

Le contrat peut aussi être considéré comme demeurant en vigueur. Toutefois, la situation née de la mise en œuvre de la résiliation peut rendre pratiquement impossible la restauration du cours du contrat et imposer une réparation par équivalent.

Jean-Baptiste Rozes

Jean-Baptiste ROZES

Avocat associé

www.ocean-avocats.com